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La fiducie: du classique au nouveau

Article écrit par Régis Nogboudoctorant (Thèse en préparation, sous la direction de Catherine Malecki, intitulée « Contrat de fiducie et ingénierie financière ») 

 

 La fiducie sort de l’ombre – Longtemps ignorée par le Code civil, la fiducie a finalement été introduite par une loi du 19 février 2007, aux articles 2001 et suivants et au sein d’un nouveau titre XIV intitulé « De la fiducie ». L’article 2011 C. civ. définit la fiducie comme

« l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. ».

En effet l’article 2011 C. civ. consacre une opération triangulaire ayant un fondement contractuel par laquelle un patrimoine d’affectation est constitué grâce au transfert par un constituant de biens, droits et sûretés. À la tête de ce patrimoine est placé un fiduciaire, qui doit le tenir séparé du sien propre et l’administrer au profit d’un bénéficiaire, et ce, dans un but déterminé.

Des fiducies-sûretés et des fiducies-gestion – En ce qui concerne le but assigné à la fiducie, l’article 2013 C. civ. frappe de nullité tout contrat de fiducie qui procède d’une intention libérale (fiducie-libéralité), en dehors de cette nullité d’ordre publique, la loi ne précise pas le but que doit poursuivre la fiducie. Cependant une part de la législation relative à la fiducie est consacrée aux fiducies constituées à titre de garantie ou fiducies-sûretés. Au contraire, les fiducies qui ne sont pas constituées à titre de garantie sont des fiducies-gestion qui ont pour but la gestion pendant un temps donné d´un patrimoine confié au fiduciaire, avant la transmission de ce patrimoine au bénéficiaire, à une date et dans des conditions prévues par le contrat de fiducie.

La fiducie et le droit des affaires : quelles perspectives ? – Au-delà de la distinction fiducie-sûreté/ fiducie-gestion bien trop restrictive de notre point de vue, le contrat de fiducie à vocation à servir dans le monde des affaires, principalement pour des opérations d’ingénierie financière. À cet égard les différentes réformes qu’a connues la législation relative à la fiducie laissent entrevoir des perspectives intéressantes

 

I-                   Le droit positif de la fiducie : un important travail du législateur

Plusieurs réformes successives ont modifié en profondeur le droit de la fiducie tel qu’il résultait de la loi du 19 février 2009.

La loi de modernisation économique du 4 août 2008 ouvre la qualité de constituant aux personnes physiques, alors qu’elle était réservée aux personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés. La loi exclut dans le même temps la qualité de constituant à certaines personnes protégées telles que les majeures protégées ou les mineurs. En outre la notion de convention de mise à disposition par laquelle les biens mis en fiducie sont laissés à la disposition du constituant pendant la durée d’exécution du contrat de fiducie est introduite par la loi de 2008. Enfin la loi simplifie les conditions de la cession de créances en fiducie.

L’ordonnance du 18 décembre 2008  portant réforme du droit des entreprises en difficulté fait de la fiducie une sûreté particulièrement efficace et capable de résister en cas de procédures d’insolvabilité ouvertes à l’égard du débiteur. En effet l’ordonnance consacre la position privilégiée du bénéficiaire de la fiducie-sûreté en cas de procédure collective, ce dernier ne subissant pas la loi du concours, mais tout en préservant les chances de redressement du débiteur. Ainsi lorsque les biens mis fiducie sont nécessaires à la poursuite de l’activité du débiteur, lesdits biens sont réintégrés dans la procédure.

L’ordonnance du 30 janvier 2009 introduit diverses dispositions relatives à la fiducie-sûreté.

Enfin un décret du 2 mars 2010 et un arrêté du 12 avril 2010 mettent en place et organisent le Registre national des fiducies dont l’accès est limité à l’administration fiscale et aux autorités judiciaires.

Le corpus de règles relatives à la fiducie semble en conséquence complet mais la pratique des contrats de fiducie est, depuis le premier contrat de fiducie conclu en 2008,  plutôt modeste. En effet la fiducie est actuellement surtout utilisée à titre de garantie par des débiteurs in bonis, en vue d’obtenir une ligne de crédit ou par des débiteurs en redressement, afin d’obtenir la restructuration ou le refinancement leurs dettes. Il faut en outre noter que la fiducie a récemment servie de cadre sécurisé à des opérations de portage d’actions. En effet l’utilisation de la fiducie permet d’annihiler les risques de requalification et de nullité liés aux clauses de vente et d’achat croisés actuellement usités.

En dépit d’une pratique fiduciaire embryonnaire, le droit de la fiducie peut servir de fondement à des opérations financières plus complexes, à l’image des trusts dans les pays anglo-américains.

II-                Les perspectives de la fiducie : une actualité à venir ?

En ce qui concerne les opérations sur les valeurs mobilières, la fiducie permet déjà de réaliser des opérations de portage d’actions (voir supra) mais pourrait aussi servir de véhicule d’émission d’obligations islamiques (Sukuk) notamment via un montage superposant une fiducie et un fonds commun de titrisation.

Des pistes à creuser  –  En matière d’opérations d’acquisitionsutilisant le levier de la dette, la fiducie pourrait en matière de crédit syndiqué, servir de cadre à la mise en place d’un agent des sûretés calqué sur le modèle du Security Trustee des pays de Common law, par ailleurs déjà adopté par les professionnels opérant en matière de financements internationaux. Pour ce qui est des acquisitions par voie de LBO, une fiducie-sûreté pourrait appréhender des actifs appartenant à la société cible au profit des sponsors du LBO afin de garantir la dette d’acquisition. Ce montage pourrait contribuer à simplifier les montages en vogue chez les praticiens des fusions-acquisitions (voir la « double LuxCo »).

En matière de gestion de bilan, la fiducie pourrait servir de véhicule à des opérations d’In-substance defeasance plus souple que les véhicules sociétaires actuellement usités, comme c’est actuellement le cas en droit québécois. En ce qui concerne les opérations de titrisation, la superposition d’une fiducie et d’un fonds commun de titrisation pourrait permettre de titriser un éventail plus large d’actifs (ex : brevets, parts de sociétés commerciales) que ceux prévus dans la réglementation relative à la titrisation, à l’exemple de la titrisation par voie de fiducie du droit luxembourgeois.

Les groupes de sociétés : quelle efficacité ? – La fiducie peut servir de structure de gestion de trésorerie de groupe, notamment depuis un avis de l’Autorité de Contrôle Prudentiel  du 24 avril 2012 qui autorise un tel montage. La fiducie pourrait aussi permettre de faciliter l’exécution des pactes d’actionnaires. Plus précisément, le fiduciaire recevant en pleine propriété les titres faisant l’objet du pacte d’actionnaire, pourra être le garant de la bonne exécution du pacte et procéder au transfert des titres conformément aux stipulations contractuelles. De même le contrat de fiducie pourrait servir de fondement à des conventions de vote, un fiduciaire exerçant les droits de vote attachés aux titres faisant l’objet de la convention (voir les Voting trusts du droit américain).

Appel à des réformes ? – Des perspectives plutôt prometteuses, de nouvelles réformes pourraient permettre à la fiducie à la française de servir à la réalisation de montages plus aboutis et plus simples. Le droit comparé pourra, en ce sens,  être d’un certain secours. Ces réformes devraient permettre :

–          Au fiduciaire d’émettre des titres financiers représentatifs de l’actif fiduciaire, principalement pour les émissions de Sukuk et les opérations de titrisation (voir les Trust certificates) ;

–          A la fiducie française d’avoir un rayonnement sur le plan international en ratifiant la  Convention  de la Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance ;

–          D’assurer la totale publicité du Registre des fiducies afin d’éviter les conflits de sûreté

En définitive la fiducie a de beaux jours devant elle…