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Rémunération des patrons d’entreprises publiques : l’arbre ne doit pas cacher la forêt !

La force du symbole. Le périmètre du nouveau dispositif reste modeste. Seules sont concernées les « entreprises publiques » qui, à défaut d’une définition  juridique, sont visées à l’article premier du décret de 1953 tel que modifié par le nouveau décret, par renvoi à l’article L. 133-1 du Code des juridictions financières. Sont principalement visés les établissements publics à caractère industriel et commercial [ÉPIC], les entreprises et sociétés nationales, les sociétés d’économie mixte [SEM] et les sociétés anonymes [SA] dans lesquelles l’Etat possède la majorité du capital social, auxquelles le texte ajoute la Compagnie nationale du Rhône.

 Le champ des rémunérations entrant dans le champ de la réforme est également limité.  Pour le nouveau plafond, son calcul se fait sur la seule base des deux premiers types de rémunération visés par le décret de 1953, à savoir : « 1° Le montant des jetons de présence » des membres des conseils, ou équivalent, et « 2° Les éléments de rémunération d’activité » des mandataires, ce qui s’entend des rémunérations fixes et variables « des présidents du conseil d’administration, des directeurs généraux, des directeurs généraux délégués, des présidents-directeurs généraux, des présidents et membres de directoire, des présidents du conseil de surveillance, des présidents, des gérants » ou des personnes qui exercent des fonctions équivalentes indépendamment de leur titre. Le montant, révisable par décret, représente 20 fois la moyenne des plus bas salaires des principales entreprises publiques soit 28 fois le SMIC.

 Le dernier type de rémunération visé par le décret de 1953, les « avantages de toute nature liés à l’activité ainsi que les éléments de rémunération, indemnités ou avantages dus ou susceptibles d’être dus aux personnes mentionnées au 2° ci-dessus en raison de leur cessation d’activité ou de leur changement de fonctions ou postérieurement à ceux-ci », n’est en revanche pas comptabilisé dans le plafond et il faudra attendre un texte, annoncé pour l’automne et applicable tout secteur confondu, pour voir encadrées les fameuses rémunérations « différées ».

 Le bilan est mince : moins de cinquante entreprises sont visées par la réforme et, en pratique, une petite vingtaine d’entre elles devra modifier le montant des rémunérations de leur dirigeant, ce qui se fera de façon étalée compte tenu de la date de leurs assemblées générales. Beaucoup reste à faire et les entreprises, publiques comme privées, devraient se sentir concernées. L’arbre ne doit pas cacher la forêt !

  Acte régalien à symbolique forte, le nouveau texte traduit une volonté de moraliser les affaires. Au-delà du symbole, peut-il servir de modèle pour les textes à venir ? Les failles du dispositif permettent d’en douter.

 Les failles du « modèle ». Nul ne conteste les excès passés et un retour à plus de réglementation est souhaitable, qui signera l’échec de l’auto-régulation. Pour autant, les moyens sont-ils indifféremment transposables d’un secteur à l’autre ?

 S’agissant d’étendre aux sociétés de droit privé une règle de bonne gouvernance des entreprises publiques, la fixation d’un seuil des rémunérations aura un double impact dont il convient de tenir compte avant toute duplication du modèle.

 D’une part, une forme de « fonctionnarisation » du statut de dirigeant est prévisible, les incitations nées d’une anticipation à la hausse des rémunérations variables, les fameux bonus, n’étant plus mécaniquement adossées à la performance de l’entreprise. D’autre part, l’écart se creusera entre les dirigeants et leurs salariés, certains d’entre eux (à la SNCF ou à EDF) bénéficiant d’une rémunération plus élevée que leur directeur général. Sur le moyen terme, la logique sera d’opérer un nivellement par le bas, les dirigeants se voyant contraints de limiter le salaire de leurs collaborateurs. Or ces effets « boule de neige » n’ont pas que des effets vertueux.

 D’abord, la perte d’attractivité des salaires pourrait conduire à un désintérêt pour la fonction lors du renouvellement de cadres dirigeants, sans oublier, au plan international, un écart accru avec le salaire de patrons étrangers, britanniques ou suisses. Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que les rémunérations sont un outil de gouvernance, une « incitation » à adopter des comportements vertueux en vue d’augmenter la valeur de l’entreprise.

 Ce que la loi a fait, confier au conseil d’administration la mission de fixer la rémunération des dirigeants de sociétés, elle ne doit pas le défaire. Cette mission s’accomplit au cas par cas, sans qu’un seuil idéal s’impose. One does not fit all. A l’avenir, une forme souple de « say on pay » pourrait être envisagée, qui permettrait aux actionnaires de se prononcer sur les politiques et les montants de rémunérations proposés par les conseils. Autre mesure envisageable, les procédures internes de contrôle de fixation des rémunérations gagneraient en légitimité et en autonomie si les comités de rémunération fonctionnaient hors la présence systématique des dirigeants ou de leurs proches. Mais les réformes nécessitent du temps et de la réflexion. Le présent décret a sans doute manqué d’un peu des deux.

Véronique MAGNIER (version longue publiée au BJS 2012, n°8)