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Thèses

La matière contractuelle: pour une lecture renouvelée du droit des obligations

Galie-Blanze Mahalia

Directeur de thèse : Pauline Rémy-Corlay

Descriptif de la thèse 

La « matière contractuelle » s’entend généralement de tout ce qui se réfère à la vie du contrat – formation, exécution, extinction – et parfois également de ce qui le précède, la période précontractuelle. Une autre signification a néanmoins été dégagée en droit de l’Union qui en appelle à une notion qui ne se limite pas au contrat. La « matière contractuelle » ainsi entendue a semblé un point de départ intéressant pour mener une réflexion sur la délimitation des sphères contractuelle et délictuelle en droit français dont les frontières ont pu être qualifiées de « poreuses »[1]. En effet, le droit positif connaît de nombreuses dénaturations de ses catégories d’obligations : délictuelles, contractuelles, « quasi-contractuelles » ; dénaturations de longue date dénoncées (intrusion de la sécurité dans le contrat, extension de la catégorie des quasi-contrats au détriment de l’unité et de la cohérence de la catégorie, etc.). Ne plus cantonner le domaine contractuel au contrat valablement formé est apparu comme une piste à approfondir pour proposer une nouvelle lecture des frontières traditionnelles des sources des obligations et redonner ainsi davantage de cohérence à ces catégories juridiques.

Il convenait donc, dans un premier temps, d’étudier précisément la « matière contractuelle » au sens de la CJUE afin de déterminer si la notion dégagée dans le cadre de la compétence juridictionnelle pouvait répondre aux objectifs d’une notion substantielle.

Grâce à une interprétation autonome de la notion, la Cour de justice a élargi le domaine contractuel à toute situation dans laquelle est présent un « engagement librement assumé ». L’analyse de la jurisprudence communautaire révèle que des cas comme les promesses de gain ou les obligations résultant des statuts d’une association peuvent relever de la matière contractuelle. Toutefois l’interprétation de ce critère par la Cour n’est pas exempte de critiques ; l’analyse opérée dans le cadre du règlement de Bruxelles I est bien souvent fonctionnelle en ce qu’elle répond à des impératifs liés aux conflits de juridictions et cherche à faciliter la diffusion de la solution en privilégiant la position majoritaire dans les Etats membres. En outre le critère de l’engagement librement assumé lui-même n’est pas satisfaisant dans la perspective d’une notion substantielle de « matière contractuelle » car il apparaît bien trop centré sur la volonté d’une partie sans considération de l’autre. L’aspect relationnel n’est pas mis en valeur, ce qui n’est pas sans contraster avec le déclin, en Europe, de l’autonomie de la volonté au profit des théories fondées sur la confiance légitime.

L’échec de la notion définie par la CJUE a conduit, ensuite, à rechercher dans certains droits étrangers l’intuition d’une « matière contractuelle » dépassant le contrat stricto sensu. Les droits allemand et italien connaissent tous deux des extensions du domaine contractuel. Par des créations tantôt prétoriennes tantôt doctrinales – la responsabilité précontractuelle, le contrat à effets protecteurs pour les tiers, en droit allemand ; la doctrine du contact social ou encore de l’obligation sans prestation, en droit italien –, ces droits ont mis en exergue un fondement commun à différentes extensions du champ contractuel : la confiance légitime suscitée. La prise en considération de la relation suscitée accordant une place mineure à la volonté d’un seul laissait paraître un critère plus prometteur que celui dégagé par la CJUE.

Les contours de la confiance légitime suscitée devaient cependant être précisés afin de mettre en place un critère de la matière contractuelle précis, en lien avec le contrat, et exempt de considérations contingentes à un système juridique donné.

La confiance, omniprésente en droit du contrat, doit pour être prise en compte avoir été suscitée ; la source de cette confiance peut être concrète – un acte, une parole –, ou bien abstraite – la qualité d’une partie –, mais doit constituer une manifestation objective de volonté. En outre, la confiance doit pouvoir être qualifiée de légitime. La légitimité de la confiance s’articule autour d’une certaine prévisibilité pour le débiteur et de la proximité qu’entretient la relation de confiance avec le lien contractuel. Ainsi précisés, les différents éléments constitutifs du critère de la confiance légitime suscitée pourraient alors être soumis au contrôle de la Cour de cassation, si la notion venait à être reconnue en droit positif.

La notion définie, il s’imposait d’en étudier les effets en analysant les conséquences de sa mise en œuvre et en déterminant le régime qui lui serait applicable.

La reconnaissance de la matière contractuelle commande d’en exclure le devoir de sécurité qui relève, par nature, de la matière délictuelle. En effet, la sécurité exige de ne pas porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui et se distingue ainsi du devoir de protection qui impose à une personne de tout mettre en œuvre pour éviter qu’un tiers ne porte atteinte à une personne déterminée. Or l’exigence de sécurité ne trouve pas sa source dans un rapport de confiance légitime suscitée, mais répond au besoin de protéger un intérêt supérieur, l’intégrité physique, qui pèse sur tous et s’impose erga omnes.

Inversement les devoirs de bonne foi et d’information relèvent, par essence, de la matière contractuelle car ils ne peuvent exister en dehors d’un rapport de confiance légitime suscitée entre les parties. La « matière contractuelle » permet donc de redonner à certains devoirs leur champ d’appartenance naturelle et conduit ainsi à une plus grande cohérence des domaines contractuel et délictuel.

Si la confiance légitime suscitée constitue le point commun entre les différentes situations de la matière contractuelle, le contrat n’est pas sans conserver des spécificités qu’il ne s’agit pas de nier. Ainsi le régime de la matière contractuelle se rapproche du régime du contrat, mais ne lui est pas en tous points identique. Les remèdes qui cherchent à fournir au créancier la prestation promise – ou encore à procurer l’intérêt positif – n’ont de sens que lorsqu’un contrat a été valablement conclu ; les autres situations de la matière contractuelle ne cherchent pas à procurer un avantage promis, mais à protéger une relation de confiance. Dès lors les situations de la matière contractuelle qui ne constituent pas un contrat stricto sensu doivent ouvrir droit à une sanction de la confiance trahie : les dommages et intérêts calculés sur l’intérêt négatif ou reliance interest. L’intérêt négatif cherche à replacer le créancier déçu dans la situation qui aurait été la sienne si la confiance accordée n’avait pas été trahie, toutefois, il ne s’agit pas, à la différence de la matière délictuelle, de procéder à une réparation intégrale du préjudice subi.

En effet, l’exigence contractuelle de prévisibilité doit s’étendre à l’ensemble de la matière contractuelle. La prévisibilité s’applique à la mesure des dommages et intérêts et commande en outre d’apprécier la faute contractuelle à l’aune de la confiance légitime suscitée trahie – ce qui conduit à rejeter la récente jurisprudence de l’assemblée plénière assimilant tout manquement contractuel à une faute délictuelle pour les tiers.

La proximité entre le contrat et les autres situations de la matière contractuelle justifie par ailleurs une identité de règle en matière de prescription, de conflits de juridictions et de conflits de lois. En effet rien n’expliquerait une différence de traitement entre les contrats valablement conclus et les autres situations de la matière contractuelle. Les impératifs sont ici similaires et la frontière ténue entre le contrat et le reste de la matière contractuelle commande d’opter pour des règles de prescription et de compétence ratione loci et ratione legis identiques.

Ainsi le régime de la matière contractuelle, bien que ne disposant pas toujours d’une identité de règles, est caractérisé par un lien étroit entre le régime du contrat et celui des autres situations qui relèvent de la matière contractuelle, et diffère donc du régime de la matière délictuelle, dont l’objectif principal est de réparer l’entier préjudice subi.

La « matière contractuelle » entendue non comme un synonyme de contrat, mais comme toute relation de confiance légitime suscitée permet, sans bouleverser les catégories actuelles et sans nier les spécificités du contrat, de rapprocher de celui-ci des situations telles que les pourparlers, les loteries publicitaires, ou encore les relations commerciales établies. Elle offre également un régime gradué et ainsi adapté aux différentes situations qui la composent. La matière délictuelle retrouve ainsi le devoir de sécurité qui lui est propre et la « matière contractuelle » se voit enrichie de devoirs dont l’essence est contractuelle lato sensu. La stricte dichotomie contrat/délit méritait d’être repensée ; la matière contractuelle ouvre une source de renouvellement intéressante au moment où mûrissent les réflexions sur la réforme du droit des obligations.


[1] D. Mazeaud, « Réforme du droit des contrats », RDC 2010, p. 23.

 

Descriptif sur le docteur en droit:

Courriel

mahalia.galie@gmail.com

Titres universitaires

  • Doctorat en droit

Fonctions au sein de l’Université: 

  • Chargé d’enseignements
  • Ancien Moniteur-allocataire, Université Paris-Sud
  • Ancien ATER, Université Paris-Sud

Activité professionnelle actuelle

collaboratrice chez Boré et Salve de Bruneton, avocats aux Conseils

Enseignements

  • Droit des obligations
  • Introduction au droit
  • Contrats spéciaux
  • Droit de la famille
  • Droit des biens

Principaux thèmes de recherche

  • Droit des obligations comparé